Quelles sont les œuvres que l'auteur cite dans son roman ? Il y a deux œuvres essentielles au récit : le quatuor à cordes Rosamunde de Franz Schubert et la Gavotte en Rondeau issue de la Partita numéro 3 de J.S. Bach. Elles apparaissent de nombreuses fois, rythmant le texte et instaurant une unité thématique. Elles semblent dialoguer entre elles ou du moins se compléter. L'une exprime la mélancolie, l'autre l'insouciance ; l'une est à apprécier dans son intégralité, l'autre est un extrait. Leur première mention reflète particulièrement bien cette dualité : la musique de Schubert se vit dans la complicité et la bienveillance, la musique de Bach se vit dans un moment de terreur et de désespoir. Ainsi la musique est une sorte de contrepoids à la tension dramatique du roman.
Le roman semble d'abord poser la question : Comment se positionner face aux œuvres du répertoire en temps de guerre ? À qui appartiennent-elles ? Le père de Rei a la réponse : elles sont inscrites au « patrimoine de l'humanité » (p. 66). Le lieutenant Kurokami acquiesce : « La Rosamunde et La Gavotte vont vivre plus longtemps que nous, c’est certain ». Cette idée vient contredire le discours du caporal Tanaka qui se méfie de cette musique qui n'est « pas de chez [eux] » (p. 53). Bien plus tard dans le roman, nous apprenons l'aversion du lieutenant pour la musique militaire qui sert « à transformer les soldats en têtes de bétail », qui « [enlève] à l’homme son essence individuelle » (p. 141).
Quelles sont les autres œuvres musicales présentes dans le texte ? Beethoven y est représenté par le Quatuor numéro 3 de l’opus 18 interprété par le Quatuor Alban Berg (p. 84). Mais Jacques n’écoute pas l’œuvre puisqu’il vient d’allumer la radio et que l’animatrice rappelle le titre de l’œuvre après diffusion. De façon quasi anecdotique, nous apprenons aussi qu'une famille japonaise en pèlerinage musical a assisté à Paris à l’interprétation par Yehudi Menuhin du Concerto pour violon et orchestre (p. 137). Ainsi, l’auteur parsème son roman de références. Il faut attendre la 7ème symphonie (p. 202), qui est donnée lors d'un concert à la salle Pleyel, pour que Jacques offre aux lecteurs un commentaire sur la musique (p. 202). Pensant plus précisément à la direction de Furtwängler en 1943, il voit dans la musique de Beethoven l’expression « d’un immense et indéfectible désir d’affirmation de l’existence ». Toujours dans le même programme, A la mémoire d'un ange d'Alban Berg resserre la narration autour du violon (puisqu'il s'agit d'un concerto) et d'une idée que développera Hélène, la femme de Jacques.
Quel peut être le pouvoir de la musique en temps de paix ? Elle soigne les victimes de guerre. Ainsi, le lieutenant Kurokami passe-t-il une grande partie de son temps après la guerre à réécouter « les six quatuors dédiés à Haydn ou les derniers quatuors de Beethoven » ainsi que les quatuors Rosamunde et La jeune fille et la mort de Schubert et les Sonates et partitas pour violon seul de Bach. Comme Hélène le fait remarquer, il existe des musiques à « réveiller les morts » (p. 222). Lorsqu'une grande œuvre du répertoire est interprétée par une concertiste d'exception sur un instrument à l'histoire incroyable, tout peut arriver. Je vous invite à profiter de cette expérience aux côtés de Jacques et Hélène, que l’auteur installe à des « places acoustiquement optimales » de la salle Pleyel (p. 201).
Mizubayashi, Akira, Âme brisée,
Gallimard, 2019
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