Skip to main content

Des rythmes nouveaux et inquiétants

 

Ian McEwan a écrit un roman intitulé “Nutshell”. Le roman raconte l’histoire d’un foetus qui réalise que sa mère, Trudy, prévoit d’assassiner son père, John. Elle complote avec l’oncle de l’enfant, Claude. Ca vous rappelle quelque chose?

Dans cette folle version de Hamlet, nous devons d’abord présenter la mère. Elle n’écoute pas beaucoup de musique, mais elle est mordue de podcasts. On imagine aisément notre narrateur-fœtus pénétrant dans un monde de jingles. “I even tolerate the BBC world service and its puerile blasts of synthetic trumpets and xylophone […].” (Chapter One, p. 4).

Notre narrateur-foetus est tourmenté par les intentions meurtrières de sa mère. Mais au-delà de la peur et du chaos, une musique inconnue et spontanée peut symboliser amour et unité. Tard dans l’histoire, notre narrateur trouve un réconfort dans le “tuneful humming” de sa mère (Chapter Seventeen, p. 161). Les plaisirs combinés des sons et de la chaleur (elle est sous la douche) amènent notre narrateur à spéculer sur un phénomène dont il n’a jamais fait l’expérience, la couleur. Cette joie inspire à notre narrateur un regard positif sur le monde, qu’il imagine « doré ». Il est intéressant d’observer ici comment un ensemble de fréquences nous entraîne vers un autre ensemble de fréquences.

Il revient à la musique alors qu’il pense aux plaisirs terrestres qui l’attendent. A ce moment précis, écouter du Bach est au même niveau que le vin, la lecture, les promenades au bord de mer et les romances au clair de lune. Le paragraphe se conclut sur une ultime note musicale. Tandis que Trudy se sèche avec sa serviette, le vertige occasionné ne rompt pas le charme : “I have the impression of singing in my head. Choirs of angels!” (p. 162).

A la page suivante, (p. 163) notre narrateur-foetus est sorti de son extase. Il semble atteint de mélancolie lorsqu’il observe la façon dont le présent nous échappe, dont les moments ordinaires de la vie effleurent à peine notre conscience. Dans cette litanie d’impressions familières vouées à disparaître, “a short burst of birdsong” conclut la liste comprenant un geste quotidien, le son produit par un ustensile de cuisine, le toucher d’une matière textile, une météo agréable et les bruits de la ville. Dans l’ultime paragraphe du chapitre, le narrateur reconnaît que, bien qu’il apprécie le moment présent qu’il partage avec sa mère, il ne peut s’empêcher de ressentir déjà une forme de nostalgie. La musique semble l’avoir préparé à cette triste découverte.

Mais la musique peut aussi être intérieure. Et l’attitude d’une femme peut ici être comparée à un instrument de musique. La musique intérieure annonce notamment un dangereux changement d’attitude chez Trudy. Lorsque John présente la dernière poétesse qu’il vient de signer, la poétesse aux hiboux, les battements de cœur de Trudy annoncent une montée de sentiments négatifs: “Unreasonable thoughts are disrupting Trudy’s pulse, a new and ominous drumbeat […] speaks of possession, anger, jealousy” (Chapter Seven, p. 63). John présente donc Elodie à sa femme. Notre narrateur-foetus compare la voix de la poétesse à un hautbois: “oboe, slightly cracked, with a quack on the vowels” (p. 65).

Trudy est restée silencieuse lors de présentations et les banalités prononcées par Claude. Mais la tension est à son comble et le narrateur emploie une nouvelle image musicale tandis qu’il attend que sa mère prenne part à la conversation : “I conjure a taut piano wire waiting for its sudden felt hammer.” (p. 66). L’image révèle au lecteur l’anatomie de l’instrument, ce qui crée un effet plus menaçant. Bientôt, il y aura un impact et le son produit sera plus retentissant que s’il était entendu de plus loin dans la pièce. L’image nous rappelle aussi les circonstances dans lesquelles évolue le narrateur, qui entend, ressent et cherche à comprendre les situations depuis le ventre de sa mère.

McEwan, Ian, Nutshell, Vintage, Penguin, 2017

 

Comments

Popular posts from this blog

"Opus 77", d'Alexis Ragougneau

Opus 77 d’Alexis Ragougneau est un roman que j’ai découvert sur le présentoir d’une librairie, où je me rendais pour la première fois, la librairie Page 189 sur le boulevard Saint Antoine. Le livre portait une mention « coup de cœur des libraires ». Sur la couverture, un piano surplombe le nom de l’auteur et le titre, simple numéro d’opus. Il y avait dans cette disposition quelque chose de très alléchant pour le lecteur que je suis. La promesse d’une œuvre littéraire qui se concentrerait tout particulièrement sur la musique. J’ai probablement aussi été attiré par le caractère quelque peu sinistre de la couverture. Puis la quatrième de couverture m’a révélé que la référence du titre appartient à Chostakovitch. Une vraie trouvaille puisque je n’avais encore jamais lu de roman faisant référence à Chostakovitch. Depuis, il y a eu le roman d’Akira Mizubayashi, Reine de Cœur avec ses références aux symphonies. Mais ici, il s’agit du premier concerto pour violon. Je feuillèt...

"Zazie dans le métro", de Raymond Queneau

La première personne à m’avoir parlé de  Zazie dans le métro était certainement mon père. Mais il m’avait prévenu : au-delà des aspects ludiques et amusants du texte, le roman de Raymond Queneau avait des aspects plus sombres. J’en étais resté là. Alors, qu’est-ce qui a bien pu me motiver à lire ce classique de 1959 ? J’étais en train d’explorer la filmographie de Louis Malle lorsque ma compagne m’a rappelé qu’elle possédait un exemplaire du livre (avec Catherine Demongeot et Philippe Noiret sur la couverture, aux côtés du portrait géant de l’auteur). Je me suis dit qu’il serait bon de lire le roman avant de regarder l’adaptation. Et le livre m’a énormément plu. Il est à la hauteur de sa réputation de chef d’œuvre de l’humour. Les personnages prennent vie à travers leurs paroles, leur gouaille. On a le sentiment que l’auteur a dû s’amuser en écrivant son histoire, en écoutant ses personnages parler, en commentant malicieusement les échanges. Quant aux thématiques...

Collé au sillon

Toni Morrison a écrit un roman dont le titre ne tient qu’en un mot : “Jazz.” En suivant un triangle amoureux à New York en 1926, le roman nous embarque dans un voyage à travers le temps et l’espace tandis que l’auteur s’intéresse aux origines rurales des personnages. La fiction nous permet de nous interroger sur la grande migration vers le Nord. Bien que la musique ait une place importante dans le livre, les références tendent à être plus générales que spécifiques. Le texte mentionne des labels de disques tels que Bluebird (p. 120) et Okeh (p. 6, 197). Très peu de noms apparaissent dans le texte. La chorale gospel “Wings Over Jordan” (p. 94) et le groupe préféré de Dorcas, “Slim Bates and His Ebony Keys”, (p. 5) apparaissent au fil des pensées de Violet.   La musique sert généralement à faciliter notre compréhension des personnages et de leurs comportements. Au cœur du comportement d’Alice se trouve un paradoxe. Religieuse, elle condamne le comportement licenci...