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Hésitant, Rusé, Nerveux, Doux


Philip Roth a écrit un court roman au titre en forme d’adieux : Goodbye, Columbus.

Neil Klugman, le narrateur, entame une relation amoureuse, avec Brenda Patimkin. Les Patimkin sont plus riches que la famille de Neil. Il vit avec sa tante à Newark, tandis que les Patimkin vivent à Short Hills.
  
L’histoire mentionne Kostelanetz et Mantovani. Des titres de chanson tels que “Night and Day,” “I Get a Kick out of You,” “Get Me to the Church on Time” ainsi que le titre de la comédie musicale My Fair Lady apparaissent dans le texte. Ce n’est que dans la seconde moitié du roman que la musique gagne du terrain.

Cependant le plus merveilleux des passages sur l’expression musicale se trouve dans la première moitié du texte. Et il ne concerne pas de chanson existante. Et il ne se rapporte pas à un genre musical précis. Neil et Brenda, deux jeunes amants, apprennent à exprimer leurs sentiments l’un pour l’autre dans un échange de vers improvisés qui est à la fois timide et enjoué. L’auteur utilise le mot “dithyrambs” et une série d’adjectifs qui pourrait décrire leur relation : “hesitant, clever, nervous, gentle.” Ce moment de création insuffle la vie à des sentiments qui jusque-là ne s’étaient pas encore manifestés dans leur romance naissante. L’expression musicale trace un chemin vers la découverte de soi.

La plupart des références musicales nous viennent de Ron, le grand frère de Brenda. Lorsqu’il discute avec Neil, il mentionne immédiatement sa collection de disques (Kostelanetz et Mantovani). Il demande au petit ami de sa sœur qui est son chef d’orchestre préféré. Match nul. D’un seul coup, l’ignorance de Ron en matière de musique ainsi que l’ironie snob de Neil sont révélées au grand jour. Les lecteurs prennent naturellement parti pour le narrateur. Quand Ron cherche à chanter avec l’interprétation d’Andre Kostelanetz’s de “Night and Day,” Neil ne reconnaît pas l’air. 

L’effet est comique mais il y a bien un enjeu. La musique émerge comme sujet de conversation au moment où la vie de Ron est sur le point de changer. Ron cherche quelque chose dans la musique qu’il écoute, aussi limitée soit sa connaissance. En fait, sa troisième référence musicale concerne un album mystère qui hantera l’esprit de Neil un long moment. Sa première rencontre avec le disque lui inspire un étrange rêve. Plus tard, alors que Ron essaye d’établir un lien avec lui et l’invite dans sa chambre, le narrateur entend tout le disque et en fait une longue description.  

Les références musicales soulignent souvent les craintes de Neil d’être inadapté. Dans son esprit, Ron a le gabarit d’un géant et la musique qu’il écoute renforce cette perception. Bien sûr, les chefs d’orchestre “semi-classical” ont un penchant pour l’excès mais il paraît difficile de séparer ce commentaire raisonnablement objectif de la perception de Neil. Ainsi, l’interprétation mentionnée ci-dessus de “Night and Day” libère un millier de violons chantants (“[lets] several thousand singing violins loose”). Cet assaut lyrique fait écho à la bataille domestique qui se livre dans le foyer Patimkin. Neil se sent écrasé et le fait que Ron ait l’air d’un colosse (“colossal”) sur son lit n’atténue pas ce sentiment.

Le narrateur est tout aussi intimidé lorsqu’il observe Carlota, la bonne des Patimkins, en train de cuisiner et de chanter en même temps. Neil est impressionné par l’aisance avec laquelle elle semble connecter ses actions dans la cuisine à “I Get a Kick out of You.” Peut-être la musique est-elle une stratégie de préservation de soi. L’invité du foyer ressent un lien spirituel entre lui et la bonne, malgré le fait qu’elle ne réponde pas à ses salutations.

À l’exception du fait que ces chansons étaient populaires au moment du récit, difficile de déterminer si les standards du rat pack ont une signification particulière. “Get Me to the Church on Time” tiré de My Fair Lady est assez différent. La chanson, comme les mains de Mr. Patimkin touchant les deux amoureux, semble joindre pendant un court instant Neil, Brenda et son père. Avant que Brenda ne réponde à la question de son père “You kids having a good time ?” le trio est plus ou moins en train de se balancer (“sort of swaying”) aux sons de la comédie musicale.


Roth, Philip. Goodbye, Columbus, Bantam Books, 1969, pp. 1-97.


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