Skip to main content

Envol de coucou

Tourgueniev a écrit une nouvelle intitulée « Iermolaï et la meunière ». Le narrateur-chasseur commence par nous expliquer sa présence dans la forêt peu avant le crépuscule : il est est venu chasser la bécasse. Après une description de la croule, l’auteur nous dresse les portraits de son piqueur, Iermolaï, et du chien de ce dernier, Valet. Le premier est « un original », le second, une « créature vraiment fabuleuse ».

Une fois la nuit tombée, les deux hommes cherchent le gîte auprès d'un meunier. Ils communiquent avec ce dernier par l'intermédiaire du garçon meunier. Dans un premier temps, on leur fait savoir qu’il n'est pas question de leur laisser l’usage du moulin. Devant l’insistance du narrateur, le meunier apparaît et accepte de les laisser s’abriter sous une sorte de hangar. Il rentre réveiller sa femme qui apporte des vivres aux campeurs. Le narrateur s’endort. Il sera réveillé par le chuchotement de Iermolaï et de la meunière. C’est cette vision qui donne son titre à la nouvelle.

Pourtant, il n’y a pas de lien très fort entre les deux personnages : Iermolaï cherche constamment à obtenir quelque chose de la meunière (un goret, de l’eau de vie, des faveurs). Arina inspire à Iermolaï quelques notes de musique. Il « fredonne » lorsqu’elle part lui chercher de l’eau de vie (p. 86). C’est la seule référence musicale de la nouvelle, une référence plutôt anecdotique. Elle illustre peut-être le désir de Iermolaï pour Arina. Ou peut-être est-ce un clin d’œil à son mode de vie de vagabond, (il y est question de souliers usés).

Après avoir écouté l’échange un temps, le narrateur fait signe qu’il est éveillé. Il discute à son tour avec Arina et cet échange nous entraine dans ses souvenirs. Il avait un jour voyagé avec l’ancien maître d’Arina, M. Zverkov. Celui-ci s’était répandu en détails sur le sort de sa domestique ou plus précisément sur le sort de l’ancienne camériste de son épouse. Elle avait osé demandé la permission de se marier... Lorsque nous émergeons de cette anecdote, la nouvelle a atteint sa conclusion. Le narrateur écoute les bruits de la nature parmi lesquels, il entend qu’un « rossignol chantait » (p. 93).

C’est la troisième mention du chant du rossignol dans la nouvelle. Les deux autres références interviennent à des moments tout aussi importants. La première mention apparaît lorsque le narrateur nous parle de la croule. Pour compléter le tableau d’une nature au soleil couchant, il écrit : « Rouge-queue et grimpereau sifflotent, le loriot a déjà poussé sa complainte, le rossignol [a] modulé son premier chant » (p. 78).

La seconde mention de ce chant intervient lorsque le narrateur conclut sa description de Iermolaï. Après avoir dressé le portrait d’un personnage quelque peu bouffon, il reconnaît le talent de Iermolaï. Connaissant la forêt mieux que quiconque, il est capable de « dénicher les rossignols « à pipeau de Sylvain » ou « envol de coucou » (p. 82). Ces expressions donnent même lieu à une note de l’auteur, fait rarissime dans le recueil. Le chant du rossignol fait donc résonner la voix de l’auteur jusque dans les marges du texte, révèle les qualités d’un homme et commente l’indicible douleur des êtres soumis à un ordre social écrasant.

Tourgueniev, Ivan, « Iermolaï et la meunière », (p. 77-93), Mémoires d’un chasseur, (trad. Henri Mongault), Folio Classique, Gallimard, 2019

Comments

Popular posts from this blog

"The Milk Train"

Edgar Lawrence Doctorow wrote a historical fiction with a title reflecting the musical craze of the times: Ragtime . Set in the early 1900’s, we follow the intermingled fates of a white family, of a mysterious black woman with a newborn child and of a ragtime musician named Coalhouse. As one would expect, the text mentions composer Scott Joplin. The music of romantic composers such as Franz Liszt and Frederic Chopin is also present. The reader will encounter other names: composers John Philip Sousa (p. 21), Victor Herbert, Rudolf Friml and Carrie Jacobs Bond; tenor John McCormack; bandleader Jim Europe. Some titles appear in the novel: “Wall Street Rag,” “Maple Leaf Rag,” “Hungarian Rhapsody,” “The Minute Waltz,” “I Hear You Calling Me.” “L’Internationale” is heard during a labor demonstration. The author also includes more obscure genres such as “Bowdoin College Songs” or “Coon Songs.” A much rarer feat is the inclusion of a composer’s words. As an epigraph, we find the indica...

"Half The Dance"

Sherman Alexie wrote a short story with a very long title: “Because My Father Always Said He Was the Only Indian Who Saw Jimi Hendrix Play the Star-Spangled Banner at Woodstock.” The story mentions four musicians (Jimi Hendrix, Elvis Presley, Hank Williams and Robert Johnson), a specific performance of the American anthem and a country song. Reading the title, we understand that Jimi Hendrix is the central musical figure in the story. Do the characters compare him to other musical icons? Yes, an anecdote involving Hank Williams leads a perplexed narrator to tell to his father:    “Hank Williams and Jimi Hendrix don’t have much in common[.]” For the narrator’s father, what the two musicians have in common is their intimate knowledge of heartaches. The father deplores his son’s ignorance and then shifts to the subject of music. This leads the father to share his personal take on instrumentation. The drums are the culprits, largely responsible for the younger genera...

Collé au sillon

Toni Morrison a écrit un roman dont le titre ne tient qu’en un mot : “Jazz.” En suivant un triangle amoureux à New York en 1926, le roman nous embarque dans un voyage à travers le temps et l’espace tandis que l’auteur s’intéresse aux origines rurales des personnages. La fiction nous permet de nous interroger sur la grande migration vers le Nord. Bien que la musique ait une place importante dans le livre, les références tendent à être plus générales que spécifiques. Le texte mentionne des labels de disques tels que Bluebird (p. 120) et Okeh (p. 6, 197). Très peu de noms apparaissent dans le texte. La chorale gospel “Wings Over Jordan” (p. 94) et le groupe préféré de Dorcas, “Slim Bates and His Ebony Keys”, (p. 5) apparaissent au fil des pensées de Violet.   La musique sert généralement à faciliter notre compréhension des personnages et de leurs comportements. Au cœur du comportement d’Alice se trouve un paradoxe. Religieuse, elle condamne le comportement licenci...