Le roman nous propose de suivre un trio d’artistes : un magicien nommé Ronnie, son assistante, Evie, et le maître de cérémonie, Jack. Bien que la narration se permette une série de sauts dans le passé et le futur, l’action principale se situe à Brighton durant l’été 1959. Les lecteurs suivent l’évolution du spectacle sur toute la saison ainsi que l’évolution des relations humaines du trio. On trouve une poignée de références musicales dans le roman: “When the Red Red Robin (Comes Bob’ Bob’ Bobbin’ Along)”, “Sunny Side Up”, “By the Light of the Silvery Moon”, “Shine on Harvest Moon”, “I’ve Got A Crush on You”. L’épigraphe est une citation de Joni Mitchell, tirée de sa chanson “Both Sides Now”. Il y a aussi une référence à un ancien programme télé : “Saturday Night at The London Palladium”.
Lorsqu'on nous présente un personnage, on nous parle en premier lieu de ses capacités vocales. Jack sait vraiment chanter car il est, selon sa propre description, “an old song and dance man” (10). Il est celui qui conclut chaque spectacle par “When the Red Red Robin…”. Evie, en revanche, est incapable de chanter. Le souvenir d’une audition ratée occasionne le verdict suivant : “She could never sing” (17). En tant que “chorus girl”, elle a appris à faire illusion en synchronisant le mouvement de ses lèvres sur “Sunny Side Up”. Les capacités vocales de Ronnie ne font jamais l’objet d’une discussion.
Retournons à la chanson favorite de Jack. Après l'émerveillement causé par les tours de magie de Ronnie et Evie, elle a pour fonction de ramener progressivement le public à la réalité. La chanson est mentionnée très tôt (8) puis très tard (188). Cité à deux reprises (10, 188), “Wake up, wake up, you sleepy head” semble être le vers le plus important pour l’auteur. On ne peut s’empêcher d’établir un parallèle entre ce vers et le rôle que tiendra Jack dans une production future de A Midsummer Night’s Dream. Puck, alias Robin Goodfellow (97-98), n’invite-t-il pas le public à se réveiller à la fin de la pièce ? L’auteur emploie deux autres vers: “There’ll be no more sobbing” (18) et “Live, love, laugh and be happy” (141). Tout comme dans “Sunny Side Up”, on retrouve une naïveté envahissante dans ces promesses (ou ces injonctions) de bonheur.
Tandis que la chanson du rouge-gorge est la conclusion ultime du spectacle, Jack utilise d’autres chansons pour présenter les différents numéros du spectacle. L’une d’elles est “By the Light of the Silvery Moon” (80). Pour présenter la chanson à ses lecteurs mais aussi pour dépeindre les multiples talents du maître de cérémonie, l’auteur tente une approche typographique dans sa description de la performance : les vers de la chanson en italiques s’entrecroisent avec les onomatopées rythmiques produites par les claquettes de Jack. Plus tard, l’auteur utilise le vers “Honey Moon, keep-a shinin’ in June!” (94).
Lorsque Ronnie est temporairement incapable de remonter sur scène, Jack doit rallonger ses interventions. Il rajoute alors “Shine on Harvest Moon” à sa liste de chansons (140). Le nouveau morceau est décrit comme “extra-soupy”. Lorsqu’il cherche à s’intégrer aux autres numéros musicaux du spectacle, Doris Lane ou The Rockabye Boys, les égos des uns et des autres s’interposent. Il est relégué au rôle de danseur muet par “The Mistress of Melody” lorsqu'elle interprète “I’ve Got a Crush on You” (141).
Pour son retour triomphant, Ronnie, alias the Great Pablo, pousse sont travail d'illusionniste vers un nouveau raffinement. Une performance en particulier laissera le public sans voix. Pour s’assurer un effet maximum, Ronnie emploie les talents du batteur de l’orchestre (161-165). Le fait que nous obtenions son nom complet semble l’établir comme un acteur crucial du numéro. La description du jeu de batterie d’Arthur Higgs inclut les expressions suivantes : “his own little whispery scuffling”, “a little gathering shimmer on the cymbals”, “his wait-and-see whisking and thrumming”, “a big drum crash”. Ce qui est remarquable ici, c’est que le batteur est à la fois proche collaborateur et spectateur étonné. Ceux qui sont désireux de connaître l’illusion magistrale de Ronnie devront lire le livre.
Swift, Graham, Here We Are, Scribner, 2020
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