Kurt Vonnegut a écrit un roman
sur la deuxième guerre mondiale dont le titre est un nom suivi d’un chiffre : Slaughterhouse
5.
Il est difficile de discuter du
roman sans immédiatement se plonger dans les implications stylistiques des
choix narratifs. Billy Pilgrim, vétéran de guerre, voyage dans le temps. Ses
voyages temporels sont involontaires. Ainsi, la narration est non-linéaire. Le
roman se compose d’une suite de moments, avec des sauts dans le temps qui nous
emmènent de l’enfance à la guerre, de la vie civile à l’espace, etc. Ce n’est
pas le seul élément du texte appartenant à la science-fiction : des
extra-terrestres enlèvent Billy pour le ramener sur leur planète baptisée
Tralfamadore. Puisque ces créatures voient en quatre dimensions, tous les
événements de la vie d’une personne apparaissent devant eux tel un panorama.
Le roman ne comprend que trois titres pour musique
vocale : « A Mighty Fortress is our God », « Hail, hail, the
Gang’s All Here », « Wait till the Sun Shines, Nelly ». L’auteur
va jusqu’à révéler l’origine de la seconde chanson, l’opérette Pirates of
Penzance. Les paroles ont tendance à apparaître de manière inopinée dans le
texte (c’est-à-dire qu’elles ne sont pas introduites par un titre). C’est le
cas du chant de Noël « Away in a Manger », deux effroyables chansons
« polonaises » et de « ’Leven Cent Cotton ». Les seuls
musiciens mentionnés dans l’histoire sont Frank Sinatra et Jean Sébastien Bach.
Mais le nom du crooner ne sert que d’exemple aux personnages qui discutent des
choix de casting pour les films de guerre Hollywoodiens. Ses capacités vocales
ne sont d’aucune importance dans ce contexte.
Il n’y a aucune voix chantée
féminine dans le texte. Toutes les voix chantées sont amateures. Dans le camp
de prisonniers en Allemagne, les chanteurs sont des prisonniers de guerre
Anglais. Dans la maison de Billy ou à bord de l’avion qui survole l’Amérique, les
chanteurs sont des optométristes constitués en un quatuor vocal de type
« barbershop ». Le chant ouvre souvent un passage vers la vulgarité
la plus crue. Lorsque les Anglais donnent une représentation de leur comédie
musicale inspirée de Cendrillon, les spectateurs se rendent compte qu’il y eu
quelques changements. Le quatuor vocal s’est donné pour nom « the Febs »,
un acronyme, nous dit-on, de « four-eyed bastards ». Si leur
répertoire n’était pas particulièrement choquant lorsqu’ils se trouvaient chez
Billy, les chanteurs déploient toute leur vulgarité dans l’avion pour le plus
grand bonheur du beau-père de Billy. Si nous portons notre attention sur ces
moments et que nous y ajoutons la chanson sur Yon Yonson, il devient difficile de
prendre le chant au sérieux.
Pourtant, un des moments les plus
importants de l’histoire survient lorsque Billy entend le quatuor vocal dans
son foyer. On assiste alors à une véritable percée dans le rapport
qu’entretient Billy avec ses souvenirs. Inconsciemment, notre héros établit une
connexion visuelle et sonore entre le quatuor vocal et l’un de ces traumatismes
de guerre les plus forts. N’ayant aucune prise sur l’opération à laquelle se
livre son esprit, le vétéran de la deuxième guerre mondiale souffre alors d’une
sorte d’effondrement psychologique. C’est la seconde fois dans le texte qu’est
mentionnée « Hail, hail, the gang’s all here » donc la connexion
musicale est facile à établir. Certaines des paroles apparaissent en italiques,
sans séparation particulière avec le reste du texte (ces paroles réapparaissent
plus tard entre guillemets). Mais l’auteur va encore plus loin que cette
inclusion puisqu’il se met à évoquer l’harmonie. Il décrit notamment l’alternance
entre accords aux sonorités aigres (« sour ») et douces
(« sweet »). Les adjectifs sont associés à des adverbes : le premier
avec « unbearably », le second avec « suffocatingly ». Il y
a quelque chose de chimique dans cette description. Il s’agit néanmoins d’un
hommage au pouvoir de la musique lorsque celle-ci se trouve associée à nos
souvenirs.
L’interprétation du quatuor vocal
de « ’Leven Cent Cotton » marque le second assaut sur les nerfs de
Billy. L’auteur reproduit dix vers de la chanson avec une séparation bien nette.
C’en est trop pour le vieux vétéran qui fuit la scène. Il se réfugie dans sa
salle de bains du premier étage. Il y trouve son fils Robert assis sur les
toilettes tenant une guitare qu’il est incapable de jouer. Voici donc un autre
lien entre musique et vulnérabilité.
La chanson que Vonnegut considère
comme étant la plus représentative de sa fiction sur la deuxième guerre
mondiale est le chant de Noël « Away in A Manger ». En effet, le
quatrain de l’épigraphe se retrouve dans le dernier chapitre. L’évocation de la
figure silencieuse du divin enfant est la meilleure façon de décrire l’attitude
du personnage principal face aux événements dont il a été témoin.
Cliquez ici pour entendre un arrangement pour percussions de « Ein feste Burg ist unser Gott ».
Cliquez ici pour entendre un arrangement pour percussions de « Ein feste Burg ist unser Gott ».
Vonnegut, Kurt. Slaughterhouse 5, Vintage
Books, 2000
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