
Il
est fait mention dans le texte d’une chanson intitulée “Don’t Sit Under the
Apple Tree” ainsi que de l’hymne américain. (Comme le savent celles et ceux qui
ont lu mon article sur la nouvelle de Sherman Alexie, c’est la deuxième fois
que je retrouve l’hymne américain dans une œuvre de fiction.)
Au
cours d’une année scolaire, trois étudiants de lycée se lient d’amitié dans une
relation quelque peu asymétrique. Tandis que le narrateur est un élève moyen,
Alberto “Albie” Pelagutti et Duke “The Duke” Scarpa sortent d’une maison de
redressement. Le narrateur rencontre d’abord Albie qui est bien déterminé à se
dépasser et à donner une nouvelle orientation à sa vie. The Duke, quant à lui, se
démarque des deux autres dans son approche de l’éducation secondaire. Il y a
aussi deux figures d’autorité incontournables : Mr. Russo, professeur d’un
cours portant le nom « Occupations » et Mr. Wendell, le principal.
Bien
que les attitudes des trois amis soient très différentes, ils joignent leurs
forces pour amener un chaos bien ordonné dans la classe de Mr. Russo. Le
système mis en place pour prédire les futures carrières des élèves (système
dénommé “Occupations”) et l’engagement aveugle de leur professeur pour sa
matière mettent les adolescents dans une situation de stress. Ce qui suit dans
mon prochain paragraphe est leur revanche.
Alors
que leur professeur se tourne pour écrire au tableau, tous les étudiants se
baissent pour refaire leurs lacets. Légèrement agacé par leurs frasques, le
professeur reconnaît leurs efforts puis demande à sa classe de se remettre au
travail. Mais cela ne représente que la moitié de la farce que les élèves font
à leur professeur. À présent, sous la direction d’Albie, les étudiants
entonnent “Don’t Sit Under the Apple Tree.” La confusion de Mr. Russo atteint
son zénith. Après un bref silence, la classe enchaîne avec “The Star-Spangled
Banner”, ne laissant d’autre choix à leur professeur que de se joindre à eux.
L’innocente
chanson de la Deuxième Guerre Mondiale se transforme en arme dans la bouche des
élèves. Son impact dans le texte est renforcé par l’utilisation d’italiques et
la séparation avec le reste du texte. Le mode impératif présent dans les
paroles et l’interprétation enjouée de l’hymne créent dans l’esprit des
lecteurs l’image d’un groupe d’élèves, qui, pour un bref instant, reprennent le
contrôle de leurs vies. Plus tard, une révélation concernant le passé de Mr.
Russo rendra la séquence de l’hymne encore plus ironique.
La
description par le narrateur de la performance vocale de ses amis apporte la
touche finale aux portraits d’Albie et du Duke. Le verbe employé pour Pelagutti
est “boom”. Il ne chante pas, il explose. Concernant la précision de son chant,
sa ligne mélodique se contente d’un seul ton (« a monotone »). La
seconde fois que le verbe “boom” est employé, il est associé à l’adverbe “disastrously.”
Scarpa a une voix bien plus douce (“crooner’s voice”). Rapprocher ces
descriptions des animaux utilisés plus tôt pour représenter les deux
personnages n’est pas sans intérêt : Pelagutti est un hippopotame et Scarpa un
serpent. Tandis que le reste de la classe frappe “in time” sur la première
chanson (j’imagine qu’il s’agit du deuxième et quatrième temps), Duke frappe “to
a tango beat”.
Finalement,
tandis que le narrateur écoute les voix de ses amis remplir l’espace, l’épisode
devient pour nous une exploration psychoacoustique. Ainsi que l’on pouvait s’y
attendre à la lecture des descriptions précédentes, la présence vocale d’Albie
est pour le moins rugueuse : “And next to me, beside me, inside me, all over me—Albie!”
La présence vocale du Duke est bien plus fluide et tout aussi puissante : “a
thick liquid crooner’s voice […] bathed me in sound.” Dans son enthousiasme, le
narrateur compare une simple voix à une eau dans laquelle il baigne. On peut
alors imaginer ce qu’a ressenti le pauvre Mr. Russo face à cette chorale
improvisée.
Roth, Philip.
“You Can’t Tell A Man by The Song He Sings.” Goodbye, Columbus, Bantam
Books, 1969, pp. 167-177
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