
Situant l’action au début du XXème
siècle, l’auteur nous invite à suivre les destinées croisées d’une famille
blanche, d’une femme noire mystérieuse avec un nouveau-né et d’un joueur de
Ragtime nommé Coalhouse. Ainsi que l’on pouvait s’y attendre, il est fait
mention de Scott Joplin dans le texte. Mais la musique de compositeurs romantiques
tels que Frédéric Chopin et Franz Liszt est aussi présente. Le lecteur trouvera
enfin d’autres noms : les compositeurs John Philip Sousa, Victor Herbert,
Rudolf Friml et Carrie Jacobs Bond ; le ténor John McCormack ; le chef
d’orchestre Jim Europe. Des titres d’œuvres apparaissent dans le roman :
“Wall Street Rag,” “Maple Leaf Rag,” “Hungarian Rhapsody,” “The Minute Waltz,”
“I Hear You Calling Me.” Un cortège ouvrier entonne “L’Internationale.” L’auteur
inclue d’autres genres, plus obscurs, tels que les “Bowdoin College Songs” ou
les “Coon Songs.” L’auteur réalise par ailleurs l’exploit, assez rare,
d’inclure les paroles d’un compositeur dans son texte. En guise d’épigraphe, on
trouve l’indication que Scott Joplin avait pour habitude d’inscrire sur ces
partitions : “Do not play this piece fast / It is never right to play
Ragtime fast…”
Je défendrais l’idée que l’une
des scènes les plus importantes du roman se trouve au milieu du livre. Quelque
peu irrité par la présence de Coalhouse, Father l’invite à se mettre au piano. Les
ragtimes mentionnés ci-dessus sont alors joués par le musicien-prétendant. Il
s’agit, après tout, du premier moment dans le texte où nous entendons du
ragtime. Et cette performance musicale continuera de résonner en Mère
lorsqu’elle se trouvera à Atlantic City quelques chapitre plus tard. Nous
serons aussi capables de mesurer l’étendue de ce que le pianiste sera prêt à
sacrifier par la suite.
Il suffit de lire les
comparaisons florales décrivant “Wall Street Rag” pour ressentir le pouvoir de
la musique. “Maple Leaf Rag” semble créer des jeux de lumière dans toute la
pièce. La musique de Scott Joplin est puissante. Les adjectifs “robust” et
“vigorous” sont utilisés pour décrire ce dernier ragtime. Le premier ragtime inspire à l’auteur une formule encore
plus intrigante : “There seemed to be no other possibilities for life than
those delineated by the music.” La musique établit un plan
d’action dont les personnages ne sauraient dévier.
Dans un grand moment de vulnérabilité,
Younger Brother écoute son environnement comme s’il s’agissait d’une musique, ou
plus précisément, d’un ragtime. L’homme au cœur brisé distribue alors la
musique du milk train entre les mains d’un pianiste imaginaire : Les
roues sont dans la clé de fa ; les grincements des wagons sont dans la clé de
sol. Au moment où il est censé prendre une décision qui doit altérer le cours
de sa vie, le jeune homme désespéré donne à la réalité la forme d’un ragtime.
La musique occupe donc une place
de choix dans le récit. Elle est souvent associée aux grands voyages :
Freud en Amérique, l’expédition polaire de Père, l’exil de la Famille à
Atlantic City. La musique est précieuse en ce sens qu’elle rappelle aux
personnages d’où ils viennent, car elle établit un lien entre différentes zones
géographiques : entre Atlantic City et New Rochelle, entre le Pôle et les États-Unis,
entre l’Amérique et l’Europe. Ce n’est donc pas un hasard si l’argumentaire de
Booker T. Washington s’articule autour de ce rappel. L’ancien pianiste Coalhouse
ne peut-il revenir à la raison, lui qui appartient au “lyceum of music ?”
Doctorow,
Edgar Lawrence. Ragtime, Modern Library, 1997
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